26.01.2021
Conférence

Symétrie des Attentions, symétrie des émotions

7 min à lire

À l’occasion de l’édition 2020 de son colloque annuel Cultures Services, l’Académie du Service a choisi d’aborder la question de “La Symétrie des Attentions dans un monde nouveau.”

Au programme de cette journée riche en enseignements, des intervenants ont abordé la thématique du féminisme, et plus particulièrement son influence sur notre société. En cela, Ludmila Kostandova revient sur les prénotions formulées à l’encontre des femmes en milieu professionnel ; William Njaboum et Bolewa Sabourin, quant à eux, évoquent la question de la masculinité et les effets destructeurs qu’elle peut avoir lorsqu’elle devient “toxique”.

Le leadership se vit

Thierry Spencer, Customer Experience Storyteller à l’Académie du Service et auteur du blog sensduclient.com anime cette 2ᵉ keynote et présente la première intervenante. Ludmila Kostandova accompagne des hommes et des femmes, les conseille à propos de leur leadership et de leur capacité à engager des projets de transformation, à fédérer leur équipe autour de ces projets, à créer des dynamiques collectives. Le dirigeant fait alors un travail sur lui-même, en reflet du travail fait au sein de l’organisation. Elle travaille avec des femmes dirigeants et managers sur leur place et leur identité pour grandir dans leur rôle de leader.

Ludmila Kostandova, fondatrice d’Aligna Advisors, est tout d’abord interrogée sur son étonnement face au thème “La place des femmes dans les organisations”. “Effectivement, je n’aime pas cette question, nous dit-elle, car elle suppose plusieurs choses notamment qu’il y ait qu’une seule place et qu’un seul type d’organisation.” Elle fait un parallèle cocasse : “Cela reviendrait à dire : quelle est la place de l’oxygène dans le tableau périodique des éléments.” Il a en effet une place précise et fixe. Ludmila Kostandova préférerait que la question soit : quel est le rôle de l’oxygène dans les réactions chimiques qui sous-tendent la vie dans ce monde. “La réponse pourrait être beaucoup plus intéressante” nous dit-elle.

La symétrie des biais cognitifs

Les biais cognitifs sont tous les préjugés que l’on a en nous sans y réfléchir. Voici la définition de Ludmila Kostandova. Elle illustre cette définition par un exemple simple : le succès d’un homme le rend admirable et attirant alors que le succès d’une femme a des connotations négatives.

Deuxième biais cognitif très connu est celui du tabou de l’ambition des femmes. Ludmila Kostandova nous dit que les femmes, dès leur plus jeune âge, ne sont pas encouragées. Elles ont du mal à demander de l’aide ou des ressources parce que “ambition” rime avec « masculinité ». C’est positif de voir l’ambition chez un homme, mais pas chez une femme.

Ludmila Kostandova insiste sur la nécessité des femmes à prendre en main leur ambition en développant un projet pour elle-même et une identité de leadership.

Enfin, elle nous donne un dernier exemple de biais cognitif en nous posant cette question : “à quoi reconnaît-on un leadership efficace ? La détermination, la domination, la confiance…” Elle poursuit : “Si une femme a ses traits là, elle sort de son rôle social et on n’aime pas ça.” Il existe deux types de leadership en entreprise : un leadership transactionnel qui conduit à un management par objectif, souvent porté par les hommes et un leadership transformationnel autour de valeurs fédératrices, dans une dynamique collective qui se rapproche plus de la femme.

Qu’est-ce que veut dire développer son leadership ?

Dans une étude de Bain & Company How Leaders Inspire: Cracking The Code, le leader est décrit par 33 traits de caractères. À quoi peut-on reconnaître un leader inspirant ? C’est à cette question que clients et collaborateurs ont répondu.

Ludmila Kostandova nous dit : “Évidemment, il ne faut pas les avoir toutes. Il suffit d’avoir 4 traits, les vôtres, choisis dans cette liste ou d’autres qui vous sont propres.”

C’est ainsi que vous aurez de l’impact, nous dit-elle.

Ludmila Kostandova déteste les formules “How To” (Comment faire…). Elle milite pour le développement de compétences en fonction des contextes, la capacité à prendre en compte les émotions et le centrage.

Nous apprenons que Thierry Spencer et elle sont fans du film Matrix et notamment du mode d’apprentissage de Neo, le personnage principal.

“Le leadership ne s’apprend pas dans les livres, mais il se vit. C’est ce que doit faire Neo.” déclare Ludmila Kostandova.

Elle nous explique également que les études montrent que le développement est un processus itératif.

“Exposez-vous ! Allez chercher les compétences autour de vous !”

Elle prend alors en exemple le parcours d’Angélique Gérard et salue sa pugnacité et sa ténacité pour arriver là où elle est aujourd’hui. À différentes étapes de son parcours, elle n’a pas hésité à aller se former, à lire, à intégrer des écoles et à travailler sur soi.

Ludmila Kostandova vous invite à investir en vous.

En entreprise, les femmes ont besoin de sponsorship. Pour devenir leader, il faut avoir des opportunités de s’exposer. Ludmila Kostandova s’adresse alors à toutes les femmes de la salle et celles à distance : “Levez la main et demandez votre place !”. Puis elle conclut : “Tenez également les hommes responsables de votre évolution.”

Masculinités et vulnérabilités

Fondateurs de l’association LOBA qui depuis 2016 met l’art au service de la cité, William Njaboum et Bolewa Sabourin sont respectivement docteur en sciences économiques et danseur chorégraphe. Ces deux “artivistes” cherchent à sensibiliser et engager le grand public contre les violences sexuelles et sexistes partant d’un fait tragique : le viol comme arme de guerre en République Démocratique du Congo.

Résolument féministes, ils décident de prendre à rebours la question du sexisme et nous parlent des masculinités.

Être un garçon dans un monde d’hommes

William Njaboum et Bolewa Sabourin se lancent dans un discours éloquent et proche d’un slam. Ils reviennent sur leur enfance et leur éducation de garçons dans un monde d’hommes.

William Njaboum nous dit se questionner sur ce qu’il représentait aux yeux des autres. “Avoir le sentiment que la société remet en question tout ce que l’on pense être. Contrôles d’identité incessants, orientations scolaires biaisées et tous les masques (sociaux) que l’on doit porter au quotidien. Toutes ces expériences ont fait de moi un homme.”

Bolewa Sabourin, après une enfance mouvementée et conflictuelle, trouve sa bouée de sauvetage : la danse. Sa résilience.

“Deux échecs au BAC n’entacheront qu’une partie de ma vie. J’ai désormais un métier dans les pieds.”

William Njaboum et Bolewa Sabourin se rencontrent dans une école de danse parisienne et se trouvent autour de valeurs communes que sont la solidarité et le partage.

Ils partagent également une vision particulière de la danse : sortir de l’aspect contemplatif pour entrer dans un espace d’expression, de liberté et d’engagement.

Bolewa Sabourin dénonce un monde sécularisé dans lequel il ne se retrouve pas en tant qu’individu hybride. Avec William Njaboum, ils veulent retrouver un monde où toute personne peut s’exprimer selon sa singularité et son art.

La naissance d’un combat : le projet Re-creation

En 2007, ils co-fondent LOBA, qui veut dire “exprime-toi” en lingala, avec pour seul mot d’ordre : l’art au service de la cité. Ils se forment notamment dans l’entrepreneuriat social : Ticket For Change, Yes We Can. Ces formations vont leur permettre d’assumer, d’assurer le tournant qu’allait prendre leur association, leur combat.

En mars 2016, William Njaboum et Bolewa Sabourin rencontrent le Dr Mukwege, gynécologue obstétricien (Prix Nobel de la Paix 2018) qui soigne des femmes victimes de violences sexuelles comme arme de guerre.

Bolewa Sabourin nous explique que ces femmes sont les dommages collatéraux d’une guerre pour les minerais qui permettent la révolution numérique. Le viol comme arme de guerre est utilisé afin de faire fuir les populations et ainsi exploiter le sous-sol congolais. Le Dr Mukwege et ses équipes font un travail formidable pour reconstruire ces femmes. Mais la réparation physique n’est pas suffisante, il faut reconstruire la psyché.

D’après le Dr Mukwege, la psychothérapie occidentale classique n’a que très peu d’effets car parler en tête à tête à un inconnu de son histoire ne se fait pas. C’est culturel. En revanche, par la danse et le chant, cela fonctionne. William Njaboum et Bolewa Sabourin demandent en quoi ils peuvent être utiles. Sans être médecins, ni politiciens, ils veulent, avec leurs compétences, rejoindre ce combat.

William Njaboum nous raconte : “Le projet Re-Creation est à la suite d’un voyage au Congo au sein de la fondation Panzi du Dr Mukwege. Notre objectif fut de permettre à ces femmes d’exprimer leur trauma par la danse.”

“Les horreurs auxquelles nous avons été confrontés, mais surtout l’engouement pour nos ateliers, nous ont motivé à construire un projet plus pérenne.”

Loba se transforme en une entreprise d’économie sociale et solidaire avec pour but de soutenir ces femmes victimes au Congo de domination masculine. Mais cela concerne aussi les femmes en occident qui souffrent aussi de cette domination.

William Njaboum explique : “Nous avons développé une thérapie innovante qui allie le travail d’un danseur et celui d’un psychothérapeute pour permettre à ces femmes de s’exprimer, pour une prise en charge du corps et de l’esprit, sans hiérarchisation.”

Bolewa Sabourin ajoute : “C’est aussi une méthodologie de pédagogie active qui permet aux plus jeunes de pouvoir être sensibilisés aux violences faites aux femmes.”

Revenir aux origines du problème

William Njaboum et Bolewa Sabourin s’accordent sur le fait que pour s’attaquer au problème il faut en connaître les causes. Il y a plus de 20 ans, Françoise Héritier et Pierre Bourdieu abordaient les rapports de domination et la permanence de cette domination dans nos sociétés. La notion de violence symbolique est alors mise en lumière : la violence qui s’exerce sur ceux qui la subissent, mais aussi sur ceux qui en sont à l’origine.

Qu’est-ce que la domination masculine ? Qu’est-ce qu’un homme ?

William Njaboum revient sur la définition de la masculinité : un ensemble d’attributs qui sont associés aux garçons et aux hommes. C’est donc une construction sociale.

“Être un homme ce n’est pas ce que l’on est, mais ce qu’on est supposé être. Dans nos sociétés, être un homme c’est répondre aux injonctions d’une masculinité.”

Le culte de la virilité, comme une norme liée à la violence, la domination et l’exploitation de la prédation est à l’origine des maux de notre société, affirme Bolewa Sabourin. “La crise climatique où nous pensons dominer la nature sans en faire partie. L’exploitation des ressources sans jamais penser à rendre ce que l’on exploite. La crise économique provoquée par des hommes qui ont imposé une vision qui s’est imposée, sans jamais se remettre en question. Les crises politiques avec des hommes politiques portant le culte de l’invulnérabilité au sommet…”

William Njaboum poursuit : “Il est temps de passer à l’étape suivante : celle de la Re-Creation, un projet où l’on permet aux hommes de se requestionner entre eux, afin de libérer la parole. Parce que se parler de nos vulnérabilités, c’est déjà de la transgression. C’est braver le mythe et tuer l’interdit. Le mythe de l’invulnérabilité : ce mythe qui nous fait tant souffrir et souffrir l’humanité.

“Aujourd’hui, engagez-vous face à cet enjeu civilisationnel ! Parlez ! Échangez avec vos collègues, vos amis, votre famille.”

William Njaboum et Bolewa Sabourin concluent sur une question à se poser : qu’est-ce qu’être un homme au 21ᵉ siècle ?

Car se poser la question, c’est déjà le début de la solution.

Retrouver le compte-rendu de notre colloque Cultures Services 2020 et l’ensemble des témoignages inspirants de nos intervenants en téléchargement gratuit ici.

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