21.01.2021
Conférence

Repenser notre relation à la nature pour mieux vivre

5 min à lire

À l’occasion de l’édition 2020 de son colloque annuel Cultures Services, l’Académie du Service a choisi d’aborder la question de “La Symétrie des Attentions dans un monde nouveau.”

Au programme de cette journée riche en enseignements, de nombreux témoignages inspirants, notamment celui de Sabah Rahmani, une anthropologue qui nous explique en quoi sa jeunesse passée au Maroc, en quoi ses rencontres avec des peuples autochtones à l’âge adulte, la poussent aujourd’hui à croire au lien indéfectible entre “bien-être” et “nature” en questionnant notre relation à la nature.

Prendre soin de ses collaborateurs, de ses collègues, pour prendre soin de ses clients, c’est le cœur de la conviction de la Symétrie des Attentions. Mais prendre soin de l’environnement, du monde dans lequel nous vivons est l’impératif de notre société. C’est la conviction partagée par l’Académie du Service et l’intervenante des 30 minutes inspirantes en ouverture de ce colloque.

Sabah Rahmani est journaliste et anthropologue, auteure du livre Paroles des peuples racines : Plaidoyer pour la Terre paru en avril 2019 aux Éditions Actes Sud.

Elle réalise depuis 25 ans des reportages auprès de peuples autochtones. Elle est conseillère à la rédaction de la revue Natives Des Peuples Des Racines et rédactrice en adjointe du magazine Kaizen Explorateur de solutions écologiques et sociales.

Sabah Rahmani se dit ravie d’intervenir auprès d’entreprises et nous invite à 30 minutes de voyage. Au gré de ses expériences personnelles et professionnelles, elle a découvert d’autres visions du monde, d’autres rapports à la nature, mais également une autre manière d’être elle-même et en relation avec les autres. C’est le témoignage qu’elle souhaite nous livrer aujourd’hui.

Relation à la nature : une quête

D’origine marocaine arabo-berbère et née en France, Sabah Rahmani part depuis sa petite enfance en vacances chez ses grands-parents. Elle nous raconte que ce sont des gens très simples, très sobres. Entre agriculture et montagnes, sans eau ni électricité, elle fait l’expérience d’une relation à la nature différente de ce qu’elle connaît en France. “Pourquoi est-ce différent ici ? Pourquoi est-ce différent ailleurs ?” se questionne-t-elle à l’adolescence.

Pendant toute sa scolarité, Sabah Rahmani éprouve  un manque, celui de la joie et de la simplicité qu’elle ressent au Maroc chez ses grands-parents. Elle se lance alors dans des études scientifiques pour mieux comprendre le monde qui l’entoure.

Durant ses études à Paris, Sabah Rahmani raconte : “Mes enseignants commençaient à me dégoûter de cette matière du vivant.” Elle était face à une science froide, dure, désincarnée… Et elle voulait mettre du corps et du cœur à la matière.

“La biologie c’est du vivant. Il y a une énergie qui circule. C’est cette vitalité qui met en joie. Plus on est vivant, plus on est joyeux et armé face aux difficultés de la vie.”

À 20 ans, l’étudiante a une prise de conscience. Elle découvre la sociologie et l’anthropologie, l’étude des autres cultures. “C’est ce que je veux faire !” C’est une révélation. Sabah Rahmani part très vite sur le terrain pour, nous confie-t-elle, “rencontrer cette altérité qui m’appelle. J’étais consciente que rencontrer cette altérité c’était aussi me rencontrer.”. Et c’est ainsi qu’elle retrouve ce souvenir d’enfance, ce sentiment de joie chez ses grands-parents, à l’autre bout du monde, au Pérou sur le lac Titicaca.

La vision de la nature des peuples autochtones

Sabah Rahmani se spécialise dans la relation homme nature et part à la rencontre des peuples autochtones.

Un jour, une femme maori lui dit : “notre ADN c’est la nature. Tout est nature. Nous sommes nature.” Pourquoi en Occident, nous sépare-t-on trop de cette nature ? En effet, force est de constater que le mental, l’intellectuel, la science, la matière sont beaucoup plus valorisés. Sabah Rahmani nous rappelle que ce n’est qu’une partie de notre être.

“Le corps est une antenne. Plus on est à l’aise dans son corps, plus on est sensible à ce qui se passe dans l’environnement et plus on est à l’aise avec les autres.”

Les anthropologues parlent des peuples autochtones comme des “peuples racines”, en référence au rapport particulier qu’ils entretiennent avec les arbres… Ces peuples nous invitent à nous remémorer tous les services que l’arbre rend. Il soigne, il abrite, il nourrit, il protège…

La plupart des peuples autochtones sont animistes ; ils considèrent tout ce qui est vivant comme ayant un esprit et une âme. Pour eux, le vivant est sacré. Sabah Rahmani partage avec nous des chiffres marquants : “Les peuples autochtones sont à peu près 370 millions dans le monde, répartis sur 22% des territoires où il y a aujourd’hui 80% de la biodiversité qui a été préservée. » Pourquoi ? Parce qu’ils ont une relation d’échange avec la nature et de respect réciproque.

Sabah Rahmani nous raconte qu’un chef indien du Canada lui  dit un jour : “La place de la femme est pour nous très importante. On parle de la nature comme de la Terre Mère. Pour nous, abuser de la Terre Mère c’est comme abuser de la femme. C’est la terre nourricière, celle qui nous nourrit et qui prend soin de nous.”

Ce même chef indien questionne la jeune femme : “Vous rendez-vous compte que les avions, les ordinateurs, les téléphones sont issus de la nature ? Combien de fois avez-vous dit “merci” ?” Cette forme de gratitude et de reconnaissance, que nous n’avons pas en Occident, est le principe de base sur lequel les peuples autochtones s’appuient pour préserver leurs ressources et protéger les générations futures.

Et vous, quelle est votre relation à la nature ?

Sabah Rahmani nous dit : “Je ne cherche pas à ressembler aux peuples autochtones ou à les imiter en devenant animiste. On va parler tout au long de ce colloque de Symétrie des Attentions. L’autre nous tend un miroir. Comment regarde-t-on la nature ?”

La nature est aujourd’hui objectivée, matérialisée. Nous parlons “d’exploitation des ressources premières”. On utilise les termes “prélèvement”, “échange”. Sabah Rahmani nous alerte : “Les mots ne sont pas anodins. Ils sont le reflet de notre vision de la nature.”.

Peut-on concilier modernité et tradition ? Est-ce que la modernité c’est continuer à exploiter, détruire, épuiser, ou est-ce que c’est trouver l’équilibre entre l’être humain, son environnement et la nature ? C’est une réflexion qu’un chef mapuche du Chili a adressé à Sabah Rahmani.

Aujourd’hui en pleine transition, Sabah Rahmani nous questionne sur les choix que nous voulons faire. Elle nous propose la métaphore de la spirale comme une réconciliation entre l’axe féminin, le cercle, et l’axe masculin, la ligne. “Cela peut donner des clés pour créer cet échange, cette réconciliation entre l’homme et la femme, entre l’homme et la nature. Et c’est aussi une réconciliation avec nous-même, avec notre propre nature.” nous dit-elle.

“Tant qu’on n’est pas réconcilié avec nous-même, on ne peut pas être dans une relation apaisée, joyeuse et créative avec les autres.”

Sabah Rahmani nous confie ne pas sortir indemne de ces témoignages. Elle a été témoin d’événements tragiques souvent liés à l’exploitation des richesses naturelles de ces peuples par les Occidentaux. Certains leaders des peuples autochtones ont demandé à Sabah Rahmani d’être leur messager.

Elle nous dit : “Le premier confinement est dans notre tête et dans notre cœur. Si on fait un pas de côté, si on a un regard différent, on remet de la conscience dans notre esprit et notre cœur.” Aligner son savoir-être et son savoir-faire pour entrer en relation plus juste avec les autres et avec soi-même.

Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Mais aussi quels enfants laisserons-nous à la planète ?

Sabah Rahmani conclut : “Ce changement de paradigme se fera avec ou sans nous. Ce n’est pas de l’utopie. Je suis tous les jours témoin d’initiatives qui donnent de l’espoir. C’est possible sans que l’économie ne s’effondre.”

Comment réagirez-vous à la crise ? Par la peur et la paralysie, ou en allant de l’avant, en étant créatif et en dépassant vos peurs ?

Retrouver le compte-rendu de notre colloque Cultures Services 2020 et l’ensemble des témoignages inspirants de nos intervenants en téléchargement gratuit ici.

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