21.11.2023
Conférence Témoignages

Le bonheur au travail, une responsabilité managériale ?

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Le jeudi 28 septembre 2023, plus de 300 personnes ont participé à notre colloque, et suivi les nombreuses prises de parole autour du sujet L’expérience collaborateur de demain : revalorisons la notion de travail pour satisfaire les clients.

Pour ouvrir cette matinée, nous avons eu le plaisir d’accueillir Raphaël Enthoven, écrivain, essayiste, professeur agrégé de philosophie et éditorialiste politique. Il s’est fait connaître du grand public grâce à ses chroniques sur Arte, Europe 1, France Culture ou encore Philosophie Magazine, dans lequel il vulgarise des concepts philosophiques et met en lumière des philosophes contemporains.

À l’occasion de notre colloque annuel, il nous a proposé d’appréhender autrement l’expérience collaborateur. Il nous a offert sa réponse à la question suivante : « Le bonheur au travail, une responsabilité managériale ? »

Bonheur, management : interroger les termes

Selon Raphaël Enthoven, le bonheur au travail ne fait pas partie des responsabilités du manager. Il faut distinguer le bonheur du management.

  • Les instants de bonheur contiennent la certitude de leur fin : on ne peut ainsi pas être heureux sans redouter que le bonheur s’achève.
  • L’étymologie du mot management signifie manipulation. Certaines visions du management consistent en une façon d’être à l’écoute pour trouver une façon d’influencer l’autre, plutôt que de l’écouter en faisant preuve d’une réelle curiosité.
  • L’expression Ressources Humaines montre qu’on visualise l’humain comme une ressource. C’est la reconnaissance lexicale du fait que les employés sont interchangeables.

Une politique univoque du bonheur aux dépens des libertés individuelles

Le management par le bonheur est-il l’alibi d’une servitude renouvelée ? C’est une réelle question que se pose Raphaël Enthoven, qui met en avant la nécessité de dresser une réelle critique de la tentation de faire du bonheur une politique. Selon Kant, en effet, le bonheur ne peut pas être le même pour tous. Nous n’avons pas tous la même conception du bonheur : toute politique univoque se fait aux dépens des volontés individuelles et donc, de la liberté.

Une entreprise qui impose à tous une certaine vision du bonheur se réduit souvent à une politique de confort du travail. Et “cette politique de bonheur au travail peut maquiller des détresses qui ne peuvent pas se dire”.

À l’instar du livre 1984 de Georges Orwell, nous entrons dans une société qui ne veut pas forcer les individus à adhérer à leur propre servitude, mais les inciter à la désirer. Il évoque des exemples de nudge pour expliquer comment peut se manifester ce désir d’une nouvelle servitude dans une société démocratique comme la nôtre. 

Il s’agit de la domestication de l’homme par l’homme. On adore obéir, mais on déteste qu’on nous donne des ordres. Le nudge peut être assimilé à un management par le coup de pouce. C’est un art d’étouffer toute velléité contestataire en les enrobant d’un miel suggestif.

Du management vertical au management horizontal : nous avons changé d’époque

La définition du management est-elle d’intégrer d’excellents rouages à la mécanique de  l’entreprise ? Pas sûr, parce que cette vision du management avait cours à l’époque de la verticalité. Nous avons changé d’époque. Selon Raphaël Enthoven, les structures au management pyramidal sont vouées à disparaître, car elles ne sont plus mobiles. L’un des plus grands chantiers des entreprises est l’horizontalité.

Le syndrome de l’albatros – en référence au célèbre poème de Baudelaire – désigne l’encombrement paradoxal par le gigantisme, la mutation sous l’effet du XXIe siècle, de cet atout en obstacle. Raphaël Enthoven observe que le gigantisme des entreprises concernées par ce syndrome de l’albatros souffrent d’un manque de mobilité. L’urgence de se transformer est arrivée plus tard que les entreprises, qui ne pouvaient se permettre le luxe d’attendre.

Ces structures gigantesques pyramidales non réformables sont caduques et amenées à disparaître : quand les processus de décision sont exclusivement verticaux, ils sont inaptes à épouser la mobilité du monde. Décider d’en haut, de nos jours, c’est toujours décider de travers. Le premier des chantiers est donc celui de l’horizontalité. Le rôle du management est de créer les conditions d’une codécision, qui tienne compte d’une expertise incarnée.

Quelle est la responsabilité du manager quant au bonheur au travail ?

Dans ces nouvelles façons de travailler, le rôle d’un manager n’est pas tant de manager le bonheur que de manager la responsabilité. Dans ce cadre, un bon collaborateur est un collaborateur qui pense out of the box, par lui-même. 

La méthode indispensable au métier de manager est celle de l’entretien socratique. En effet, la maïeutique socratique est la meilleure école de management qui soit. Il s’agit de l’art qui incite le collaborateur à penser par lui-même en posant les bonnes questions. Cette méthode est parfaitement adaptée dans un monde qui s’horizontalise.

C’est la certitude que le collaborateur se sera approprié son propre savoir. La maïeutique consiste en fait à poser les questions qu’il a besoin d’entendre pour devenir ce qu’il est.

Les managers doivent renoncer à toute forme de manipulation et s’approprier cette méthode, pour devenir les pédagogues de leurs interlocuteurs.

Pour répondre à la question initiale, un management heureux remplace le bonheur au travail par l’idée de responsabilité, qui préserve le mécanisme d’autorité en entreprise. La véritable autorité n’a que faire d’être verticale, elle s’impose par l’exemplarité et non par la contrainte. Responsabiliser quelqu’un n’est pas faire preuve de laxisme à son égard, mais de confiance.

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En conclusion, ce que nous retenons de l’intervention de Raphaël Enthoven, c’est que la finalité du management ne doit pas être le bonheur, mais la liberté, l’autonomisation et la responsabilité offerte aux collaborateurs. Notre intervenant nous rappelle que le management ne doit plus être une forme de manipulation, mais que les managers doivent s’interroger en permanence sur leurs pratiques. Notre Baromètre national 2023 de la Symétrie des Attentions© montre que les collaborateurs qui travaillent dans des entreprises “gigantesques” voient bien que celles-ci n’arrivent plus à s’adapter au monde. Nous ne voyons pas d’autre chemin que de rendre chaque individu mobile pour relever le challenge d’une entreprise résiliente qui avance avec le monde, et non pas à côté de celui-ci.

Baromètre national 2023 Symétrie des Attentions

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